« Fuyez donc les motifs communs pour ceux que vous offre votre propre quotidien; décrivez vos tristesses et vos désirs, les pensées passagères, la foi en une beauté, quelle qu’elle puisse être - décrivez tout cela avec une probité profonde, calme, humble, et utilisez, pour vous exprimer, les choses qui vous entourent, les images de vos rêves, et les objets de votre mémoire. »

« Entrez en vous-même, éprouvez les profondeurs d’où jaillit votre vie; c’est à sa source que vous trouverez la réponse à la question : dois-je créer ? Prenez-la comme elle sonne sans chercher à l’interpréter. Peut-être se révélera-t-il que vous avez vocation à être artiste. Alors acceptez le destin, portez-le, son fardeau, sa grandeur, sans jamais réclamer une récompense qui pourrait venir du dehors. Car le créateur doit être lui-même un monde, il doit trouver toute chose en lui et dans la nature à laquelle il s’est lié. »

Rainer Maria Rilke, 1903

Enfant, AmEmo fouille dans l’armoire parentale. Elle tombe sur de magnifiques croquis d’oiseaux et de chanteurs, réalisés à la craie et au crayon. Ce sont les trésors cachés de son père doté d’un don dont il ne se rend pas compte, et qui après les avoir réalisés au temps de l’armée, les dissimule sous les piles de vêtements : « la peinture, c’est pour les enfants ». Intriguée, elle crayonne des portraits de ses proches.

A 12 ans, elle débute la peinture au sein de l’atelier de l’artiste peintre Segal. Là-bas, la sauvageonne de son surnom se délecte de l’ambiance de l’atelier. Elle se forge une base solide grâce à la reproduction fidèle de photos et de tableaux de maîtres, en commençant par « se battre » avec les verts des Coquelicots de Monet. Naît l’idée de devenir restauratrice d’art. Mais elle découvre Les Girafes en Feu de Dali et entrevoit les pouvoirs de la création artistique. C’est décidé, elle veut créer.



« Le corps est à la base de tout, et la création artistique commence par le contact charnel avec le monde. Plus qu'un contact, c'est d'une véritable interaction qu'il s'agit, entre le monde intérieur de l'artiste et tout ce que le monde extérieur peut lui offrir de substances et d'inspirations. Dans cette interaction, l'esprit est déjà au travail, car il y a là un "faire" éminemment conscient impliquant la maîtrise technique, ainsi que la compréhension pertinente des thèmes à traiter. Mais en dernier ressort, c'est une vision intime, profonde, toute personnelle que l'artiste doit s’efforcer d'atteindre. C'est là qu'intervient l'âme. Celle-ci est la part la plus secrète de chaque être; depuis sa naissance, ou même avant, elle entretient en lui une lueur qui cherche à briller, une berceuse qui aimerait se faire entendre. Jacques de Bourbon-Busset avait raison de la définir comme "la basse continue de chaque être". Toute œuvre d'art, en son état le plus élevé, est résonance d'âme en âme avec les autres êtres et avec l'Être. C'est la manière pour chaque créateur de dépasser l’espace-temps, de transcender la séparation et la mort. Il vise non la communication, mais la communion.(...) L’artiste célèbre le fait de vivre ici et maintenant, tout en re-suscitant ce qui est perdu. Ce faisant, le créateur se met dans la posture du Créateur qui, à partir du Rien a fait advenir le Tout. Ainsi, la voie artistique relie l'humain au divin.»   François Cheng, 2013

Dix ans après sa première toile, elle se jette à l’eau et part à la recherche de son identité picturale. A l’entrée dans l’âge adulte, les sentiments la submergent. Les évènements de la vie semblent raisonner en elle comme du cristal. Sa peinture sera sa lampe de poche dans ce qui se joue aux niveaux individuel et interindividuel. Ses mécanismes de défense pour prendre de la distance avec ses affects peuvent la laisser passer pour froide et insensible, mais dedans, ça bouillonne. Et ses tableaux, eux, ne la trahissent pas. Son motif principal s’est dirigé vers les femmes pour leur élégance, leur charisme, leur sensualité, leur fraîcheur, leur force de caractère, leur naturel, leur pudeur, leur potentiel, une intériorité et une manière d’introspecter les évènements de la vie. Elle utilise le trait, et une touche parfaitement imparfaite, comme pour aller à l’essentiel et contenir cette sensibilité franche et exacerbée..


« Depuis 10'000 ans, malgré son insoumission par excellence, la compagnie du chat est d’une douceur exquise… Les petits félins ont de la chance. Ils n’ont pas besoin de prendre leur nature à rebrousse-poil pour apprendre à apprécier pleinement le moment présent. Chez eux, cette capacité est native puisqu’ils n’ont pas plus conscience du temps qui passe que de la mort. C’est en cela qu’ils peuvent nous servir de guide, nous apprendre à agir et penser comme eux. Apprendre à arrêter le temps sur un mot, un geste, un sourire, un regard, un paysage, etc., qui peut émouvoir et apaiser de façon insoupçonnable. » Véronique Aïache, 2017

AmEmo, avec la naissance de son premier enfant, entre dans une douce période de vie de plénitude et d’assomption. Petit à petit, ses anciennes toiles ne trouvent plus leur place, car faisaient appel au moi, à l’ego. Elle veut se mettre au service de l’autre et lui faire partager sa foi en une beauté, une quiétude, un essentiel. Cette transition se fait grâce à l’invitation de la douceur de ses complices les félins, puis de ses enfants.


« Tout à chaque heure, n’est qu’œuvre du temps présent », Le Corbusier

L’humain est et restera complexe et surtout minuscule. AmEmo souhaite faire accéder à plus de légèreté et de sagesse en faisant parler l’âme et les sensations de Quelconque. Au sein d’un horizon plus large et protecteur. Comme un Tout. Elle veut bénir ces moments présents et en même temps éternels, simples et justement sacrés. Finalement, son parcours artistique s’inscrit dans l’air du temps…

« Il a tourné sa vie dans tous les sens
Pour savoir si ça avait un sens l'existence
Il a demandé leur avis à des tas de gens ravis
Ravis, ravis, de donner leur avis sur la vie
Il a traversé les vapeurs des derviches tourneurs
Des haschich fumeurs et il a dit
La vie ne vaut rien, rien, rien, la vie ne vaut rien
Mais moi quand je tiens, tiens
Là dans mes mains éblouies
Les deux jolis petits seins de mon amie
Là je dis rien, rien, rien, rien ne vaut la vie »

Alain Souchon, 2001